Sommaire

  1. Recrutement des magistrats
  2. Des poursuites disciplinaires 
  3. Poursuites pénales

En date du 17 juillet 2020, plusieurs ordonnances d’organisation judiciaire lues à la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC), le Président de la République a procédé à la nomination des magistrats du siège et ceux relevant du Ministère public. Parmi ces nominés, certains sont recrutés (anciens Avocats et Professeurs), les autres ont été promus.

En effet, en République Démocratique du Congo, les magistrats font partir d’un pouvoir, à savoir le pouvoir judiciaire (il est dévolu aux cours, tribunaux et parquets). Il (pouvoir) est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens (Article 150 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour). Ce corps est géré conformément à l’article 152 de la Constitution par le Conseil Supérieur de la Magistrature organisé par la loi n°08/013 du 05 août 2008. Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif.

De ce fait, pour être nommé en qualité de magistrat ou membre d’une institution judiciaire, il faut remplir un certain nombre des critères. 

Sans préjudice de l’article 158 de la Constitution, le statut des magistrats est déterminé par la loi-organique n°06-020 du 10 octobre 2006 telle que modifiée et complétée par la loi loi-organique n°15-014 du 1er août 2015.

Dans l’exercice de ses fonctions, le magistrat peut se rendre coupable des fautes à la fois pénales et disciplinaires. Dans ce cas, il doit engager sa responsabilité. Mais, la question que nous nous posons est celle de savoir si le magistrat congolais faisant l’objet des poursuites pénales jouit-il des immunités, de l’inviolabilité ou du privilège des juridictions ?

Pour trouver la réponse à cette interrogation, nous étudions dans un premier temps le recrutement des magistrats (1). Ensuite viendra notre analyse proprement dite qui sera axée sur les poursuites disciplinaires (2) et les poursuites pénales (3).

1. RECRUTEMENT DES MAGISTRATS

Aux termes de l’article 82 de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. Les ordonnances dont question à l’alinéa précédent sont contresignées par le Premier Ministre.

Pour les membres de la Cour Constitutionnelle, l’article 158 alinéas 1 & 2 de la Constitution prévoit qu’elle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en congrès et trois désignés par le Conseil Supérieur de la magistrature. Les deux tiers des membres de la Cour Constitutionnelle doivent êtres des juristes provenant de la magistrature, du barreau et de l’enseignement universitaire.

Nul ne peut être nommé membre de la Cour Constitutionnelle s’il n’est congolais et s’il ne justifie d’une expérience éprouvée de quinze ans dans les domaines juridiques ou politiques (article 159 de la Constitution).

Le recrutement des magistrats se fait conformément à loi-organique n°06-020 du 10 octobre 2006 telle que modifiée et complétée par la loi loi-organique  n°15-014 du 1er août 2015. Cette loi ne s’applique pas aux Membres de la Cour Constitutionnelle conformément à l’article 90 de cette loi, sauf les magistrats du Parquet près cette Cour.

Hormis les membres de la Cour Constitutionnelle, nul ne peut être nommé magistrat, selon l’article 1èr de la loi portant statut des magistrats, s’il ne réunit les conditions énumérées ci-après:

- posséder la nationalité congolaise;

- être âgé d’au moins 21 ans accomplis et n’avoir pas dépassé l’âge de 40 ans;

- jouir de la plénitude de ses droits civiques;

- jouir d’une parfaite moralité attestée par un certificat délivré par une autorité administrative et par un extrait de casier judiciaire;

- posséder les aptitudes physiques et mentales attestées par un certificat médical daté de moins de trois mois au dépôt du dossier au secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature;

- être titulaire d’un diplôme de docteur ou de licencié en droit délivré par une université nationale publique ou privée légalement agréée ou d’un diplôme délivré par une université étrangère déclaré équivalent conformément à la législation congolaise sur l’équivalence des diplômes;

- s’il s’agit d’une personne mariée, produire un extrait d’acte de mariage.

Il faut noter que, le recrutement s’effectue sur concours. Il peut se faire sur titre lorsque le nombre de candidats ne dépasse pas celui de postes à pourvoir. Ce recrutement est effectué à l’initiative du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Tout candidat ayant exercé comme avocat durant au moins 05 ans, est dispense du concours (art 3).

2. DES POURSUITES DISCIPLINAIRES

Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur ou à la dignité de ses fonctions, constitue une faute disciplinaire.Sont notamment constitutifs de fautes disciplinaires:

- le fait, pour un magistrat du Parquet, de ne pas rendre son avis dans les délais suivants: endéans dix jours au pénal, endéans trente jours pour les matières du travail et endéans trente jours pour les affaires civiles ou commerciales;

- le fait pour les juges de ne pas rendre une décision dans les mêmes délais;

- le fait pour un magistrat de chercher directement ou indirectement à entrer en contact avec les parties en cause avant son avis, ou sa décision, selon le cas;

- le fait de procéder à des arrestations et détentions arbitraires;

- le fait de ne pas informer l’inculpé ou prévenu de ses droits, conformément aux articles 17 et 18 de la Constitution;

- le fait d’encourager ou de pratiquer la torture;

- le fait pour un magistrat de violer les termes de son serment;

- le fait pour un magistrat, au cours de l’instruction, de se rendre coupable des tortures ou d’autres traitements cruels, inhumains, dégradants ou encore harcèlements et des violences sexuelles.

Suivant la gravité des faits, les peines disciplinaires à infliger au magistrat sont: le blâme, la retenue d’un tiers du traitement d’un mois, la suspension de trois mois au maximum avec privation de traitement et la révocation.

Le pouvoir disciplinaire est exercé par le Conseil supérieur de la magistrature qui est compétent pour prononcer le blâme, la retenue du traitement et la suspension. Par contre, la révocation est ordonnée par le Président de la République sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature conformément à l’article 82 de la Constitution.

Le Conseil supérieur de la magistrature propose la révocation, sur simple constatation de la condamnation, le magistrat qui fait l’objet d’une condamnation définitive: pour toute infraction intentionnelle, à une peine privative de liberté supérieure à trois mois pour toute autre infraction et à la suite d’une procédure de prise à partie.

3. DES POURSUITES

Le magistrat congolais, quel que soit la juridiction à laquelle il est attaché, lorsqu’il commet une faute pénale (infraction), doit être poursuivi et engager sa responsabilité pénale. Alors comment peut-on amorcer des poursuites contre le magistrat et doit-il comparaitre devant quelle juridiction ? La réponse à cette question nous pousse d’abord à comprendre les notions d’immunités des poursuites, privilèges de juridiction et principe d’inviolabilité dans les poursuites (3.1). Ensuite, s’appesantir sur les magistrats bénéficiaires du principe de l’inviolabilité, du privilège de juridiction mais ne jouissent pas des immunités de poursuites (3.2), et enfin, des magistrats bénéficiaires du privilège de juridiction, mais ne jouissent ni de privilège de juridiction moins encore des immunités de poursuites (3.2).

3.1. La sémantique

a. Immunités des poursuites

Les immunités des poursuites sont des prérogatives qui mettent les parlementaires et certaines autorités à l'abri des poursuites judiciaires en vue d'assurer le libre exercice de leur mandat. On parle des immunités parlementaires, diplomatiques, d’exécution, etc…. Il s’agit de nos jours, est un avantage, une prérogative ou un privilège accordé à certaines personnes par la loi qui interdit dans certaines circonstances leur condamnation par la justice.

A titre illustratif, l’immunité parlementaire est une disposition du statu des parlementaires (député et sénateurs) qui les protège, dans le cadre et pour la durée de leur mandat, contre toute mesure d’intimidations de la part des pouvoirs publics ou de pouvoirs privés afin de garantir leur indépendance (Elle est prévue à l’article 107 de la Constitution).

b. Principe de l’inviolabilité 

C’est le caractère de ce qui est inviolable, qu’on ne doit pas violer, enfreindre. En droit, l’inviolabilité est la qualité de ce qui est à l’abri de toute poursuite. C’est un privilège ou une protection spéciale accordée aux détenteurs de certaines fonctions. Dans certains pays, l’inviolabilité est synonyme d’immunité.

c. Privilège de juridiction

Le privilège de juridiction, appelé aussi immunité de juridiction, est le droit donné à certaines personnes de comparaitre devant une juridiction autre que celle à laquelle les règles du droit commun procédural attribuent compétence.

 

3.2. Certains magistrats sont bénéficiaires du principe de l’inviolabilité, du privilège de juridiction mais ne jouissent pas d’immunités de poursuites

Certaines catégories de magistrat jouissent du privilège de juridiction et du principe d’inviolabilité.

En ce qui concerne le privilège de juridiction, l’article 153 alinéa 3 de la Constitution combiné avec l’article 93 de la loi-organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire prévoient que, les membres de la Cour Constitutionnelle et ceux du Parquet près cette Cour, les membres de la Cour de compte ainsi que ceux du Parquet près cette Cour, les magistrats de la Cour de Cassation ainsi que ceux  du Parquet près cette Cour,  les membres du Conseil d'État et ceux du Parquet près ce Conseil, les Premiers Présidents des Cours d'Appel ainsi que les Procureurs généraux près ces Cours, les Premiers Présidents des Cours administratives d'Appel et les Procureurs Généraux près ces Cours sont justiciables devant la Cour de Cassation.

S’agissant de l’inviolabilité, l’article 86 de la loi organique n° 13/010 du 19 février 2013 prévoit que sans préjudice de la procédure en matière d'infractions intentionnelles flagrantes, les membres de la Cour des Comptes et ceux du Parquet près cette Cour ne peuvent être poursuivis et mis en accusation que par l'Assemblée Nationale, statuant au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages exprimés, et ce, à la requête du Procureur Général.

Pour les membres de la Cour constitutionnelle, magistrats de la Cour de cassation, Conseil d’Etat et les Premiers Présidents des Cours d'Appel ainsi que les Procureurs généraux près ces Cours, les Premiers Présidents des Cours administratives d'Appel et les Procureurs Généraux près ces Cours ne peuvent être poursuivis que sur autorisation du Bureau du  Conseil Supérieur de la Magistrature.

3.3. Certains magistrats sont bénéficiaires de privilège de juridiction mais ne jouissent ni de privilège de juridiction moins encore d’immunités de poursuites                                                      

Hormis les magistrats cités aux articles 153 de la Constitution, 93 de la loi organique n°13/011-B et 85 & 86 de la loi organique n° 13/010 du 19 février 2013, les magistrats des Cours d’Appel et des Parquets près ces Cours, Cours Administratives d’Appel et des Parquets près ces Cours, Tribunaux de Grande Instance et des Parquets près ces tribunaux, Tribunaux de Commerce, Tribunaux du travail, Tribunaux de paix, Tribunaux pour enfant  sont justiciables devant la Cour d’Appel conformément à l’article 91 alinéa 2 point 2 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences de juridictions de l’ordre judiciaire (Sauf les Premiers Présidents des Cours d’Appel, Cours Administratives d’Appel et les Procureurs Généraux près ces Cours qui sont justiciables devant le Cour de Cassation).

Ces magistrats justiciables devant le Cour d’Appel jouissent à notre entendement du principe de la délocalisation. 

En effet, conformément à l’article 91 alinéa 3 loi-organique n°13/011-B du 11 avril 2013, lorsque le magistrat inculpé (ou poursuivi) est un membre d’une Cour d’appel ou d’un Parquet général près cette Cour, les infractions sont poursuivies devant la Cour dont le siège est le plus proche de celui de la Cour au sein de laquelle  ou près laquelle il exerce ses fonctions.

 

A titre exemplatif, lorsqu’un magistrat du ressort de la Cour d’Appel de Kinshasa Gombe est poursuivi, il sera jugé devant la Cour d’Appel de Kinshasa Matete car, celle-ci a son siège plus proche que la Cour d’Appel de la Gombe où il exerce ses fonctions.

 

Un magistrat du ressort de la Cour d’appel de l’Equateur, sera poursuivi devant la Cour d’Appel de la Tshuapa ou Sud-Ubangi, étant proches. Celui du ressort de Kongo Central, est poursuivi devant la Cour d’Appel de la Gombe, etc…

 

EPILOGUE

A titre de conclusion, nous disons que les magistrats civils congolais ne jouissent pas d’immunités de poursuites, mais au contraire, ils sont bénéficiaires de privilège de juridiction et du principe de l’inviolabilité pour les uns. 

Pour ceux qui jouissent du privilège de juridiction et du principe de l’inviolabilité, on note les membres de la Cour Constitutionnelle, les magistrats de la Cour de Cassation, les magistrats du Conseil d’État et les Premiers Présidents des Cours d’Appel et Cours Administratives d’Appel ainsi que les Procureurs généraux près ces Cours ne peuvent être poursuivis que sur autorisation du Bureau du  Conseil Supérieur de la Magistrature. 

Par contre, les autres magistrats (Cours d’Appel, Cours Administratives d’Appel, Tribunaux et les Parquets rattachés à ces juridictions) sont justiciables devant la Cour d’Appel, sans préjudicie du principe de la délocalisation prévu à l’article 91 alinéa 3 de la loi organique de 2013.

S’agissant enfin des membres de la Cour de compte et du Parquet près cette Cour, ils ne peuvent être poursuivis et mis en accusation que par l'Assemblée Nationale, statuant au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages exprimés et ce, à la requête du Procureur Général.

Au demeurant, sachant que l’œuvre humaine est toujours porteuse d’imperfections, nous accueillons toutes contributions et opinions.

 

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Par Me. Edmond MBOKOLO ELIMA

Avocat au Barreau de l’Equateur

Assistant à la Faculté de Droit

Université de Mbandaka /RDC

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